L'Express du 18/07/2005
Secheresse
L'eau au compte-gouttes
par Loïc Chauveau
Arroser, mais préserver les ressources: pour favoriser une gestion optimale de l'eau, les agriculteurs font désormais appel à des moyens techniques sophistiqués. Une aide indispensable pour mieux lutter contre le gaspillage
Le maïs grille sur pied, la betterave souffre et la luzerne sèche. La moitié de la France subit des restrictions d'arrosage, totales ou partielles, pour cause de manque d'eau. L'irrigation est pourtant de plus en plus indispensable. Elle est vitale pour le maïs, plante d'origine tropicale. Elle est nécessaire pour que le blé atteigne le taux de protéines exigé par les normes européennes. Elle est imposée par l'industrie agroalimentaire afin que les légumes soient de qualité suffisante avant leur mise en conserve ou la préparation de plats cuisinés. Il faut donc arroser, tout en préservant la ressource.
Seulement 1,6 million d'hectares de la surface agricole utile française, qui s'étend sur 24 millions d'hectares, sont irrigués. Plus de 90% sont arrosés par aspersion, avec des canons à enrouleur, des rampes à pivot ou des asperseurs. L'irrigation par canaux (dite gravitaire) ne concerne que l'arboriculture méditerranéenne et la micro-irrigation, où la plante est nourrie au goutte à goutte, et ne s'applique qu'aux productions à forte valeur ajoutée (tomate, aubergine, melon) tant cette technique est onéreuse.
La solution raisonnable : cultiver des espèces qui n'ont besoin que de la pluie
C'est sur l'aspersion que se concentrent donc les efforts. «Le souci de l'agriculteur, c'est d'apporter la bonne dose d'eau à l'intégralité de son champ, précise Bruno Molle, chercheur au Cemagref. Nous avons donc élaboré un outil informatique qui croise les caractéristiques du matériel (diamètre de l'asperseur, pression, débit) avec les moyennes météorologiques de la région.» Contrairement à une idée reçue, l'ennemi principal d'un arrosage efficace est non pas l'évaporation, mais le vent. «En atmosphère très sèche, moins de 10% de l'eau s'évapore avant d'atteindre la plante, assure Bruno Molle. En revanche, un vent orienté contre la pression du canon empêche un arrosage homogène.» L'informatique calcule également les distances d'écartement entre les canons et fixe l'heure à laquelle les robinets doivent être fermés.
Les précautions d'EDF
«Ce que nous craignons, c'est la canicule, pas la sécheresse», affirme-t-on chez EDF. L'électricien assure avoir tiré tous les enseignements de 2003. Un coordinateur de la production est chargé du suivi du débit des cours d'eau pour chacun des bassins fluviaux. Même la centrale nucléaire de Civaux, située sur la Vienne, aurait les 10 mètres cubes par seconde nécessaires au refroidissement de ses circuits, grâce au lac de Vassivière.
La pénurie d'eau n'est plus, pour EDF, un souci. En revanche, la canicule obligerait les centrales à rejeter une eau très chaude, susceptible de nuire à la vie écologique des fleuves et des rivières. Soumis à autorisation préfectorale, ces rejets sont extrêmement surveillés. Outre des moyens mobiles de refroidissement, EDF a mis sur pied une prévision à dix jours de la température des cours d'eau.
En Beauce et en Normandie, les experts ont recours aux tensiomètres. «En pompant l'eau, une racine provoque une dépression dans le sol, explique Nicolas Galin, technicien au syndicat de gestion des eaux de la Grande Beauce. Le tensiomètre mesure la pression qu'il est nécessaire d'exercer sur le sol pour en extraire l'eau. La mesure se fait au centième de bar. Plus elle est importante, plus le sol est sec.» Le degré de sécheresse du sol est rapporté aux besoins en eau calculés par les organismes techniques pour une croissance idéale de la plante. Les agriculteurs reçoivent des messages hebdomadaires leur indiquant le volume précis de liquide qu'ils doivent fournir à leur culture.
Depuis 1999, ces céréaliers ont des quotas à respecter. Il est donc crucial de n'arroser qu'à bon escient. En constante baisse depuis le début des années 1980, le niveau de la nappe de la Beauce était remonté à partir de la fin des années 1990. Mais il chute de nouveau depuis la canicule de 2003. Conséquence possible: une réduction des quotas. La solution la plus raisonnable serait de cultiver des végétaux peu gourmands en eau, comme l'orge, le tournesol ou le colza. Contrairement au maïs, dont la production de 1 kilo de grains exige 450 litres d'eau, ces espèces n'ont besoin d'aucun apport autre que la pluie. L'idée fait son chemin. En Poitou-Charentes, les surfaces en maïs grain ont chuté de 15%, passant de 197 000 hectares en 2004 à 167 000 cette année. Le début de la sagesse?